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Analyses

Les trois dimensions de la musique

On nous apprend, en Théorie Musicale, que l‘intervalle DO-RÉ (intervalle de seconde) entendu successivement, est un intervalle mélodique, et que ce même intervalle DO-RÉ, entendu simultanément, est un intervalle harmonique.

 

De même, on nous apprend que l’intervalle DO-MI (intervalle de tierce) entendu successivement, est un intervalle mélodique et que ce même intervalle de tierce, entendu simultanément, est un intervalle harmonique.

 

D’après cet énoncé, la Mélodie correspondrait à une succession de sons, (que l’on représente, même graphiquement, par une notion ou dimension horizontale) et l’Harmonie correspondrait à une simultanéité de sons (que l’on représente par une notion ou dimension verticale), ce qui signifierait que la différence entre Mélodie et Harmonie ne serait qu’une question concernant la dimension du Temps, c’est-à-dire, le Rythme !

 

Malgré son apparence  paradoxale, ce postulat s’appuie néanmoins sur une base certaine. En approfondir l’origine peut nous ouvrir des nouveaux horizons.

 

En effet, quelle est l’origine du phénomène mélodique ?

 

Si nous prenons un Son produit, par exemple, par une corde, lorsque l’on tend cette corde, le son monte (par micro-intervalles ou glissando) vers l’aigu, et lorsque l’on détend la corde, le son descend (par micro-intervalles ou glissando) vers le grave. Ce mouvement de tension et de détente qui se manifeste forcément par la succession de sons est à l’origine du phénomène mélodique, qui agit selon la loi de la pesanteur ou gravitation (d’où le son grave).

 

L’origine du phénomène harmonique, qui agit aussi selon la loi de la pesanteur du Son, se manifeste sur cette même corde tendue qui, en produisant un Son grave, fait entendre, simultanément, ses harmoniques (d’abord l’octave et sa quinte superposée, etc.), d’où l’association de la notion de simultanéité avec le phénomène harmonique.

 

Néanmoins, nous devons tenir compte d’une autre approche des manifestations mélodiques et harmoniques du Son en ce qui concerne ses propres dimensions.

 

D’abord, si la Mélodie se rattache à la dimension horizontale par la notion de succession de sons qui la relie à la dimension du Temps, c’est-à-dire, au Rythme,  la dimension réelle de la Mélodie n’est pas l’horizontalité mais la verticalité, puisque c’est la notion de hauteur du son, du grave à l’aigu, qui en est l’élément déterminant.

 

C’est, d’ailleurs, sur cette réalité physique que se base tout le système modal où la détente (que nous pourrions appeler « Tonique ») est déterminée par le son le plus grave de la gamme employée, d’où la diversité de modes du système modal, par opposition à la structure uniforme de la gamme majeure issue du système tonal.

 

Dans le sens de la hauteur (dimension mélodique ou verticalité) nous avons un mouvement ascendant ou descendant du son, qui se fixe sur une échelle dont le premier degré ascendant correspond à l’intervalle de seconde majeure, soit un ton, composé de 9 coma ; ensuite, à l’intervalle de tierce, et après, à l’intervalle de quarte. *

 

Nous avons, donc, trois cercles d’intervalles : l’intervalle de seconde, l’intervalle de tierce et l’intervalle de quarte (la quinte étant le renversement de la quarte, la sixte le renversement de la tierce et la septième le renversement de la seconde), donc, trois possibilités d’établir des rapports entre les notes. Ces rapports vont s’établir sur trois natures différentes :

 

L’intervalle de seconde, (unité mélodique) qui correspond à l’ordre mélodique (ordre de la gamme). De par sa nature successive et glissando, l’intervalle de seconde correspond à l’articulation liée ou legato.

 

L’intervalle de quarte ou quinte (unité harmonique - ordre des dièses et des bémols), qui correspond à l’ordre harmonique et que, de par sa nature simultanée, correspond à l’articulation détachée ou staccato.

 

L’intervalle de tierce, (unité de l’accord) qui correspond à l’ordre des accords, et qui, comme son nom l’exprime, établit l’accord ou entente entre l’ordre mélodique et l’ordre harmonique.

 

Il reste l’octave, que nous pouvons définir comme unité sonore, puisque le son se reproduit d’octave en octave, et qui pose le problème de savoir si l’octave d’un Son est ou n’est pas différent à l’unisson… Pour ma part je dirai que, compris dans la dimension harmonique, l’octave d’un Son est le même Son, car il résonne simultanément à l’octave, alors que, pris dans la dimension mélodique, pour atteindre l’octave, il faut le mouvement de tension de la corde qui fera monter le Son, successivement, par micro-intervalles, jusqu’à l’octave.

 

Il est intéressant d’observer que nous avons deux systèmes pour accéder au nombre infini de sons contenus dans l’octave : soit par voie mélodique (par micro-intervalles), soit par voie harmonique (par quintes ou quartes justes).

 

Dans mon livre « Les éléments essentiels de la Musique » (DINSIC, Edicions) j’ai expliqué pourquoi l’intervalle de seconde majeure est considéré comme l’unité mélodique. Voir « Les trois cercles d’intervalles », p. 16, « Le Son », p. 55, « L’organisation mélodique des sons », « Les modes », p. 66 et 67, et « Les intervalles fondamentaux », p. 72.

Voici, donc, face aux deux dimensions de la Musique apprises dans nos Théories : Mélodie = horizontalité et Harmonie = verticalité, nous en ajoutons une troisième, celle du Rythme, qui reprend sa véritable dimension horizontale, en offrant à la Mélodie la dimension verticale, et en ouvrant une nouvelle dimension, la profondeur, qui correspond à l’Harmonie.

 

De ces trois dimensions, celle du Rythme, que je définis comme « un mouvement de tension et de détente », est l’élément vital qui anime autant la Mélodie que  l‘Harmonie.

 

Le mouvement de tension et détente mélodique s’exprime par le plus simple rapport d’un Son qui monte et descend, représenté par l’intervalle de seconde.

 

Le mouvement de tension et détente harmonique s’exprime par le rapport d’un Son qui monte et descend par un intervalle de quinte juste.

 

La dimension mélodique a été la première à se manifester dans l’histoire de la Musique. C’est elle qui forme le système modal, depuis les modes pentatoniques jusqu’aux modes les plus élaborés.

 

La dimension harmonique, pressentie intuitivement dès l’origine, et notamment depuis le moyen-âge, aboutira - grâce à l’intervalle de tierce qui établit, avec l’accord parfait, l’entente ou accord entre Mélodie et Harmonie - à la découverte du système tonal.

 

Le système tonal s’explique à partir de la notion de tension harmonique générée par l’intervalle de quinte (Tonique – Dominante), sa détente (Dominante – Tonique), et l’inflexion de la détente (Sous-Dominante ou quinte inférieure –   Tonique). En plaçant sur chacun de ces trois piliers harmoniques la tierce qui constitue l’ordre de l’accord, on obtient, par ordre mélodique, la gamme majeure.  

 

Il est d’ailleurs surprenant de constater que l’apparition de l’accord parfait, qui fait apparaître la profondeur de la dimension harmonique, coïncide, à l’époque de la Renaissance, avec la découverte de la perspective dans la peinture ! Le rôle de la tierce, génératrice de l’accord qui relie la vision d’un œil mélodique à la vision d’un œil harmonique est de percevoir la profondeur pour  créer la perspective. *

 

Cette nouvelle optique de la dimension de la profondeur de l’Harmonie par rapport à la dimension de la hauteur de la Mélodie, pourrait éclairer des points obscurs de l’enseignement de l’Harmonie, qui devrait être définie comme « l’étude de l’Accord (ou entente) entre la Mélodie et l’Harmonie ».

* Voir aussi mon livre « Les principes fondamentaux de l’Harmonie » (DINSIC, Edicions) « Introduction », p. 7 et 8.

L’épineuse question des quintes et octaves directes, permises ou défendues, qui perturbent les élèves qui étudient les Règles des Traités d’Harmonie où les auteurs n’arrivent pas à se mettre d’accord, trouve une explication logique dans la compréhension et clarification de ce qui appartient à la dimension mélodique ou à la dimension harmonique.

 

De même, deux quintes parallèles  entre deux voix, par exemple : DO-SOL / FA-DO,  sont considérées unanimement comme des fautes de « lèse-harmonie », mais quelle réponse donner à l’articulation de ces deux mêmes quintes consécutives :

 

DO-SOL / FA-DO, dont une voix monte et l’autre descend, par mouvement contraire ? La réponse est simple : situées dans la dimension mélodique, ces deux voix font évidemment un mouvement contraire, puisque ces deux voix se meuvent dans le sens de la hauteur. Considérées dans la dimension harmonique, ces deux voix font, cependant, l’équivalent d’un mouvement parallèle, puisque les deux voix se meuvent, accouplées, non pas dans le sens de la hauteur, mais dans celui de la profondeur. *

 

En ce qui concerne les mouvements directs de quintes ou d’octaves entre deux voix, si une voix se déplace par intervalle de seconde (intervalle mélodique qui monte ou descend dans le sens de la hauteur) et l’autre voix se déplace par intervalle de quarte ou de quinte (intervalles harmoniques qui se déplacent dans le sens de la profondeur) ces deux voix, se déplaçant ainsi sur des dimensions différentes, ne peuvent en aucun cas provoquer des collusions, ni des quintes ou d’octaves directes défendues !

Narcís BONET, Ichy, avril 2014          

 

* Voir « Enchainement des accords », p. 23 et 24 dans « Les principes fondamentaux de l’Harmonie ».

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